La merveilleuse et triste histoire de G. et B.

Tout commença lors de la rencontre provoquée d'un ovule et de deux spermatozoïdes. En fait, tout commença bien avant ce commencement, lors du don de ces trois cellules à l'institut de recherche médicale. Évidemment, le début, le tout début, remonte à si loin qu'on ne peut le préciser, alors je ne vous parlerai que de ce commencement parmi tant d'autres, car il y a bien sûr autant de commencements que de fins, et Dieu sait que ces fins sont nombreuses sur cette Terre. Donc, comme je le disais, l'histoire commence lors de la fécondation clinique d'un ovule humain, tout cela pour créer des jumaux bébés-éprouvette. L'opération fonctionna, et l'on insémina une femme volontaire de ce zygote pimpant de vie. La femme n'était pas la donnatrice de l'ovule, et aucune des identités des donneurs n'était connue. Le zygote devint un embryon, puis l'embryon devint un foetus- ou plutôt deux. En effet, tel que souhaité initialement, des jumeaux (non-identiques, le père étant différent) croissaient dans le ventre de la future maman. Un seul problème: on se rendit bientôt compte que les jumeaux étaient siamois, partageant une même moitié de tête, un même cerveau. L'horreur. Rien ne pouvait être fait avant l'accouchement, donc on attendit. La future mère sombra dans un enfer de drogues et d'alcool, surmenée par ses nerfs. Finalement, au terme des neuf moins d'attente fébrile, les jumeaux siamois furent sortis de leur cocon douillet par césarienne, et on les emmena en salle de chirurgie, risquant le tout pour le tout. Entre-temps, les spécialistes avaient trouvés un donneur pour le huitième d'un cerveau, une partie nullement nécessaire au bon fonctionnement de son ancien propriétaire, un bébé de quelques mois. Ils opérèrent donc les jumeaux siamois, espérant que leur métabolisme s'arrangerait bien. Ils séparèrent les têtes, puis le cerveau, s'assurant que chaque bébé avait les parties essentielles à son développement. Cela fait, et voyant qu'ils se remettaient bien de l'opération, une employée de la D.P.J. vint les observer pour en faire une description assez précise. Il importait de séparer ces bébés, définitivement, pour que leur subconscient survive à la séparation de la mère porteuse. Ces bébés, un garçon et une fille, reçurent de nouveaux noms- autres liens avec la mère malade et inapte à bien les élever- une nouvelle date de naissance, différente l'une de l'autre, et vécurent dans plusieurs foyers différents jusqu'à l'âge de 2 ans. À ce moment, on leur trouva les parents idéals, avec des frères et des soeurs plus agés qui seraient de bons modèles (on l'espérait) et de jolies maisons. Ils ne se rencontrèrent pas à nouveau avant d'entrer au secondaire. Au nom de l'expérience, les parents devaient habiter dans la même ville, mais éviter de faire rencontrer la soeur et le frère avant que leur demi-cerveau ne puisse le supporter. Puis, le secondaire venu, leur rencontre fut provoquée, et ils furent placés dans des classes communes. Ils devinrent amis, sans comprendre leurs étranges affinités. Et, sans le savoir, ils se lièrent d'amitié avec l'ancienne propriétaire du 1/8 de cerveau qui avait été donné à la soeur...